Le voyage

Publié le 18 Avril 2014

Naviguer à la voile vous offre ce qu'il y a de plus précieux dans la vie d'un homme : la lenteur.

Après une relativement courte période d'adaptation, mon corps fonctionnait à merveille. Pour la première fois de ma vie, du moins au plus loin que porte ma mémoire, je pouvais laisser mon esprit flotter sur les vagues.

Je devenais ainsi un aventurier, certes bien modeste, juste à mon échelle mais jour après jour il devenait clair que mon quotidien consistait désormais à naviguer d'îles en îles à la recherche des émotions.

N'ayant pas pris le temps d'y penser à l'avance ; aurai-je été capable précédemment de comprendre ce que j'allais trouver ? Je ne savais pas encore que je n'étais pas totalement sincère dans ma démarche. N'y a t il pas quelques risques de réaliser ses désirs ?

Je n'étais plus un des éléments du monde du travail perdu dans la foule des cadres fatigués, je devenais un navigateur partis à la rencontre de la nature et des hommes. Je croisai des destins que je prenais le temps d'écouter. N'ayant plus rien à vendre, je parlais sans chercher à séduire, je devenais « vrai ». Je découvrais enfin l'émotion des instants et des phrases. Les miroirs des salles-de-bains, ne servait plus à conforter mon égo mais à mieux me connaître.

Parce que cet accès à la connaissance de moi-même augmentait mon acuité, je constatais pour la première fois que mon visage murissait, les traits devenaient plus net, débarrassé désormais du masque du cadre supérieur responsable. Jours après jours, mes désirs se réalisaient et je commençais à me sentir d'avantage à ma place. Et finalement, coupé de tout souvenir du passé et de toute projection vers l'avenir, immobile dans l'espace vie, je commençais à devenir moi-même.

Il y a au moins deux façons de naviguer. La première consiste à aller quelque part. Cette prééminence de destination n'est pas sans conséquence sur la nature du cheminement qui favorise le moyen le plus direct pour arriver à bon port ; la ligne droite vers le point de destination devient l'objectif quotidien. Il y a une grande satisfaction intellectuelle de tracer sur les cartes des lignes droites théoriques vers les lieux choisis et une grande joie de suivre autant ce peut cet axe au plus près. L'exercice consiste finalement à identifier le meilleur moyen d'aller d'un point A vers un point B en tenant compte des vents et des quelques obstacles qui peuvent se trouver sur votre route, sans s'écarter outre mesure de la ligne théorique que vous avez pris soin d'enregistrer dans votre GPS.. Ce travail intellectuel et quelque peu mathématique terminé, vous laissez à votre esclave, le pilote automatique, le soin de conserver le cap choisi afin de vous consacrer aux tâches nobles que sont la rêverie, le repos ou l'élaboration de menus plus succulent les uns que les autres.

Sans doute il y a-t-il dans la poursuite d'une ligne directrice forte, géographique ou intellectuelle, une ambition positive et légitime, capable de mener à coup sûr à destination. Mais une telle rigueur est aussi porteuse d'une rigidité potentiellement brutale d'un dogmatisme qui risque de tuer dans l’œuf la richesse de chaque jour. Il y a donc une autre façon de naviguer, moins soucieuse de l'objectif et plus ouverte à la fantaisie du cheminement géographique et intérieur.

Se laisser pousser par le vent dominant quelque soit l'endroit où il vous emmène. Décider d'aller quelque part puis se raviser sous l'effet des émotions, suivre le sillage d'un autre bateau rencontré en route histoire de faire un bout de chemin ensemble, accoster une île inconnue conquis par le charme d'une plage ombragée promesse d'une sieste jouissive, succomber à l'invitation de rester quelques jours de plus afin de participer à un événement familiale où vous deviendrez l'invité d'honneur. Il y a plus de mille façons de dédaigner la route la plus courte pour s'abandonner à une plus grande fantaisie, où la question de la ligne droite devient presque malvenue, tant il y a de choses à voir et de bons moments à vivre en naviguant au fil du vent.

Cet art de la navigation est séduisante car elle flatte l'image de liberté du navigateur solitaire et laisse la porte ouverte à des rencontres non contraintes par le temps. Pourtant cette liberté absolue , par la priorité qu'elle donne à l'instant, porte en elle le risque d'une évaporation du sens initial du voyage. A force d'improviser le canevas quotidien au motif de la fantaisie et de la priorité conférée à l'instant, la trame du voyage se dilue et le sens s'échappe, plongeant finalement le navigateur dans une apathie difficile a éradiquer.

Vous commencez à vous en douter, j'avais choisi cette deuxième voie et ce qui devait arriver, arriva......

Abus de mer, rend fouAbus de mer, rend fouAbus de mer, rend fou
Abus de mer, rend fou

Abus de mer, rend fou

C'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme.
Moi, la mer elle m'a pris, j'me souviens, un mardi

Renaud

Rédigé par Marica

Publié dans #L'appel du large

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